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La franc-maçonnerie
par Luc Nefontaine
Bonjour à tous,
Beaucoup de monde pour assister à la première conférence de notre saison 2002-2003.
Celle-ci a été inaugurée par Monsieur Luc Nefontaine, né à Namur en 1959, historien des religions et docteur en philosophie et lettres. Il enseigne à l’Université libre de Bruxelles et est membre du Centre de sociologie des religions à l’Université de Strasbourg.
Je lui avais demandé de nous parler de la franc-maçonnerie, pratique qui laisse beaucoup de questions dans l’ombre pour les profanes que nous sommes.
Il nous a néanmoins expliqué que la franc-maçonnerie touche tous les milieux et qu’elle couvre maintenant trois siècles d’histoire.
Le monde maçonnique est composé de millions d’individus qui, chacun de leur côté, ont de la société dont il font partie une vision différente.
Tentons en quelques lignes d’éclairer notre lanterne au sujet de ce mouvement. La franc-maçonnerie a une histoire mouvementée, faite de déchirures et de schismes. Ses fondateurs sont anglais et sa création remonte au XVIIIème siècle.
Elle est composée de loges et d’obédiences. La loge ou atelier est le lieu où se vit la maçonnerie. C’est là qu’un ensemble d’individus, hommes ou femmes, ou hommes et femmes, se réunissent en général deux fois par mois dans un local spécialement aménagé à cet effet. Le local appelé « loge » ou « temple » n’a rien de sacré, il s’agit simplement d’un lieu de rassemblement fermé aux regards « profanes ».
L’obédience quant à elle est une entité administrative, un organe fédérateur qui rassemble et guide plusieurs loges. Elle exerce sa tutelle ou sa juridiction sur les ateliers qui y sont rattachés.
La loge est composée de sœurs ou de frères qui ont été recrutés par cooptation et par parrainage. Ne devient pas maçon qui veut : il faut avoir été accepté par ses pairs. L’obédience n’a rien à voir dans ce processus. Seul un groupe d’individus décide en toute autonomie de s’agréger ou non une personne après une enquête de plusieurs mois pratiquée, dans le milieu professionnel ou familial du candidat. L’atelier va envoyer des frères ou sœurs rencontrer le « profane » à comprendre dans le sens « celui qui se tient hors du temple » et ceux-ci devront faire rapport aux autres membres de la loge des résultats de leurs entretiens. Il s’agit de discerner si le candidat fera un bon maçon et si ses opinions et choix de vie sont compatibles avec la vie du groupe où il postule.
L’on attend du candidat qu’il soit d’une probité et d’une moralité reconnues et que ses antécédents soient irréprochables.
Son motif ne doit pas être intéressé et ce n’est pas une vaine curiosité qui le pousse à poser sa candidature.
Il doit avoir assez de discrétion et de force de caractère pour remplir ses obligations maçonniques
Il doit posséder assez d’intelligence pour comprendre les principes maçonniques et s’éclairer en assistant aux travaux et devenir un jour apte à éclairer les autres.
Il doit être d’un caractère sociable : se recommande-t-il par ses qualités ou son talent, par des services rendus à la société ?
Jouit-il d’une aisance suffisante pour pouvoir, sans se gêner ou nuire à ses proches disposer de moyens suffisants à verser au trésor de la loge ?
Ses occupations lui permettent-elles d’assister régulièrement aux travaux de la loge ?
Ces principes, édictés en 1888 sont à peu de choses près encore d’actualité de nos jours.
Au grand Orient de Belgique, plus que partout ailleurs, on va se soucier de savoir quelle religion pratique le candidat. S’il se déclare agnostique ou athée, sa candidature ne posera aucun problème. Juif, musulman, protestant, shintoïste ou bouddhiste ne pose pas plus de problème. Par contre s’il se déclare catholique et si ses enfants fréquentent l’enseignement catholique, la suspicion s’installe et peut conduire à un refus.
Ceci est une particularité belge, et encore, pas dans toutes les loges.
Si toutes les réponses sont positives aux conditions énoncées ci-dessus, il faudra passer au vote pour voir s’il est accepté dans la loge. Seuls les maîtres votent en déposant une boule blanche ou une boule noire dans l’urne prévue à cet effet. La majorité simple ne suffit pas et certaines loges exigent la quasi-unanimité dans leur règlement. Dans tous les cas, il y aura un débat au sein de l’atelier. Le parrain du candidat le défend si besoin est.
Une fois accepté, le candidat pourra subir les épreuves de l’initiation qui feront de lui un franc-maçon. La pratique la plus courante est le passage sous le bandeau. Le candidat est invité à se présenter au temple et dès son arrivée, on lui met un bandeau sur les yeux. Il est alors conduit dans les sous-sols du bâtiment dans ce que l’on appelle le cabinet de réflexion. Ce parcours vers les entrailles de la terre, le centre du monde, la plongée dans son être profond, le chemin de l’introspection et de la connaissance de soi : voilà ce qui symbolise ce parcours descendant. Descendre pour mieux monter, mourir pour mieux renaître. L’épreuve du cabinet de réflexion rappelle cet itinéraire sans lequel aucun profane ne peut devenir initié. Les symboles sont présents dans ce petit local faiblement éclairé à la bougie. Le candidat est plongé dans un monde de ténèbres et de silence, seul avec lui-même à la lueur d’une flamme vacillante. On lui a enlevé le bandeau, on lui a demandé de se dépouiller de ses biens : il remet à un frère, bijoux, argent, cartes de crédit ou chèques, montre. Il est assis devant une tablette portant un crâne, un squelette, une faux, symboles de la mort ; un sablier, symbole du temps qui passe, de l’éternité, car on le retourne sans cesse, de l’infiniment petit, le grain de sable et de l’infiniment grand, la mer de sable; des vases contenant mercure, soufre et sel, références explicites à la tradition alchimique et à la transmutation des métaux en or; un morceau de pain qui évoque le levain, le travail humain, la cuisson du feu; une cruche ou un verre d’eau, symbole de la simplicité, de frugalité; un miroir symbole de la découverte de soi, l’inscription alchimique V.I.T.R.I.O L qui en français signifie « Visite l’intérieur de la terre et en rectifiant tu trouveras la pierre cachée » et des tas d’inscriptions sur les murs : de quoi méditer longuement.
Après plusieurs heures passées à méditer, le frère qui l’a conduit vient le rechercher et lui, passe à nouveau le bandeau sur les yeux. On l’amène devant les membres de la loge, qui vont lui poser des questions précises sur ses motivations, sur sa façon de concevoir la vie et la mort. En principe, c’est après cette épreuve que l’atelier décide si le candidat pourra être initié. S’il est accepté, le profane sera initié une ou deux semaines plus tard.
On ne dira jamais assez que le parcours maçonnique est un chemin solitaire, chemin qui ne pourrait se concevoir sans l’aide des frères et/ou des sœurs. C’est toute la loge qui va accepter et initier l’impétrant.
Dans une loge les frères revêtent un tablier, blanc pour les apprentis et les compagnons, décoré pour les maîtres.
Le temple maçonnique est de forme rectangulaire où les quatre points cardinaux sont, par convention, connus de tous. Une orientation sacrée et symbolique qui ne correspond pas toujours à l’orientation géographique. A l’est se trouve l’ autel du vénérable maître, sur lequel sont placés le volume de la loi sacrée, la Bible, la Déclaration des Droits de l’ Homme, l’équerre et le compas. A l’ouest, juste en face, se trouve l’entrée du temple, la porte cernée de deux colonnes. Les côtés nord et midi du rectangle sont les plus longs, c’est là que se trouvent les sièges sur lesquels les frères vont prendre place.
Le vénérable, « premier maillet » ouvre et ferme les travaux et assure le bon déroulement des réunions. A sa gauche se trouve l’orateur dont le rôle est d’accueillir les nouveaux initiés en prononçant un discours au nom de la loge, de garantir le respect des règlements de la loge et de l’obédience. Il est le gardien de la loi. A la droite du vénérable se tient le secrétaire, il est la mémoire de l’atelier. Il dresse procès verbal de l’assemblée, envoie les convocations et rédige le rapport annuel de la loge. Sur la colonne du Midi ou à l’Orient se trouve l’expert. Au début de la tenue, il est chargé de vérifier la qualité maçonnique des visiteurs et apprentis et compagnons, en posant des questions rituelles qui demandent des réponses précises. C’est le « tuilage », c’est vérifier qu’il est bien maçon. L’expert doit aussi être expert en rituel. A l’Occident, près des colonnes, les deux surveillants. Le premier surveillant représente le « second maillet » ; en cas d’empêchement du vénérable, c’est à lui de le remplacer. C’est lui qui signale au vénérable les frères qui demandent la parole : l’on ne peut pas prendre la parole sans autorisation. Il est aussi chargé de l’instruction des compagnons. Le second surveillant est chargé de l’instruction des apprentis. D’autres rôles plus subalternes sont encore tenus.
Mais que fait-on dans les temples ? Après que les travaux aient été ouverts, les maçons écoutent l’un des leurs qui leur a préparé un « morceau d’architecture » c’est-à-dire une conférence. Les thèmes en sont variés : tous les sujets peuvent être abordés : la réforme de la justice, l’évolution de la pratique de l’avortement, l’enseignement, la laïcité, mais aussi des sujets plus symboliques. Dans tous les cas, les frères qui écoutent ne peuvent interrompre le conférencier, ni manifester aucun signe d’approbation ou de réprobation. Après la conférence les frères peuvent poser des questions et exprimer leurs réactions, non sans avoir demandé la parole au surveillant de leur colonne. La plupart des loges n’autorisent qu’une seule question par individu. Il s’agit donc de parler à bon escient ! Le rituel n’est jamais un but en soi : il est là pour créer une ambiance, favoriser l’éveil de la conscience, permettre de plonger dans son être intérieur et entrer en résonance avec le monde. Les rituels sont nombreux.
Voilà dans les grandes lignes ce qu’est la franc-maçonnerie. Si le sujet vous intéresse, je ne puis que vous conseiller la lecture des deux livres dont les références suivent.
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