programme>conférences>
Le concours Reine Elisabeth
Sauvenière, fin janvier 2002,
Bonjour à tous, copains et copines,
Le sujet de conférence présenté ce mois avait trait à ce que l’on appelle « la grande musique » et plus particulièrement, le Concours Musical Reine Elisabeth. La plupart d’entre nous nous attendions à voir arriver un conférencier d’un certain âge, si pas d’un âge certain, très digne, si pas austère, eh bien, nos suppositions étaient erronées. C’est un jeune conférencier, sympathique comme tout, qui a la charge du secrétariat général du Concours et qui est venu nous en parler avec beaucoup d’enthousiasme. Le nombre de questions posées après l'exposé a prouvé que le nombreux public a été captivé par ses explications.
Je pense qu’il n’est pas nécessaire d’être un musicologue ou un mélomane averti, pour s’intéresser aux tenants et aboutissants de cette compétition internationale.
Le but officiel que s’est donné le Concours depuis sa création est d'encourager la carrière de jeunes musiciens de talent par l’organisation de concours internationaux. Il participe à la vie musicale belge et internationale et apporte son soutien aux jeunes musiciens méritants. Il est évident, que vu la qualité de ce concours, il s’adresse aux musiciens dont la formation est déjà confirmée, qui sont prêts à se lancer dans une carrière internationale. Son règlement est strict et les exigences très élevées. Le jury, international, est choisi parmi des interprètes de renommée mondiale et il varie d’une session à l’autre.
A plusieurs reprises, au cours de ses conversations avec son maître de Chapelle, Eugène Ysaÿe, la Reine Elisabeth avait exprimé le voeu d’aider les jeunes artistes encore inconnus et qui devaient lutter durement pour imposer leur nom au public. Ce projet généreux eut un début d’exécution en 1929 grâce à la création de la « Fondation Musicale Reine Elisabeth. Différents événements malheureux retardèrent ce projet qui vit finalement sa concrétisation en 1937 avec le premier concours réservé aux violonistes et intitulé « Concours Eugène Ysaye ». Le succès dépassa d’emblée toutes les espérances. Les concurrents vinrent de tous les pays d‘Europe et cette première session révéla au public un violoniste qui allait devenir une vedette internationale: David Oistrakh.
La guerre de 40-45 interrompt ses activités, mais dès 1950, l’idée rejaillit et ce concours prend dès lors le nom de Concours Reine Elisabeth. Après le décès de la reine en 1965, c’est la Reine Fabiola qui le reprend sous sa protection.
Au fil des années, les concours de violon et de piano se sont succédé, s’organisant en périodes quadriennales, chaque discipline revenant tous les quatre ans. Plusieurs concours de composition se sont intercalés, adoptant diverses formules d’une session à l’autre. En 1988, suivant le courant général intéressé par la musique vocale, le Concours inaugurait une nouvelle discipline, le chant, l’art lyrique connaissant un regain d’intérêt partout dans le monde.
Les épreuves.
Après une épreuve préliminaire, dont le but est de vérifier si les candidats sont d’un niveau suffisant pour se présenter au Concours - épreuve qui se passe à huis clos devant une majeure partie du jury international du et au cours de laquelle le candidat doit jouer un extrait de la première épreuve du Concours lui-même. Le tirage au sort détermine l’ordre de passage des concurrents et cela, pour la durée de la session. Vient ensuite l’essai de la salle du Conservatoire et, pour le piano, le choix des instruments, choix qui se renouvellera d’ailleurs avant la finale au Palais des Beaux-Arts. Durant toutes les épreuves les pianos font l’objet de soins minutieux et un accordeur est spécialement attaché au concours. Les violonistes jouent soit sur leur propre violon, qui leur est familier, soit sur le violon de leur professeur, soit encore sur un instrument précieux prêté par leur Gouvernement ou par un mécène pour la durée du Concours.
Les familles d’accueil.
L’hébergement des candidats est une des tâches délicates pour les organisateurs. Les familles d’accueil mettent une chambre individuelle et un piano à la disposition du concurrent. Mais elles lui apportent surtout une atmosphère calme et détendue qui contribue à son équilibre moral et psychologique.
Les éliminatoires.
Dès les premières éliminatoires, un effort considérable est exigé du candidat. Celui-ci ne dispose que de vingt à trente minutes pour tenter de figurer parmi les vingt-quatre élus du second tour. Le jury lui demandera d’exécuter des études de virtuosité afin de juger son niveau technique, une oeuvre révélatrice de son intelligence musicale, et enfin, une oeuvre plus importante, au choix du concurrent, qui met en valeur sa personnalité. Lors de la deuxième éliminatoire, véritable récital d’environ trois quarts d’heure, le candidat doit interpréter une oeuvre d’un musicien belge, composée spécialement pour le Concours et qui a fait au préalable l’objet d’un concours de composition. Cette oeuvre est communiquée au concurrent, au moment de son admission. Il y a aussi des oeuvres du grand répertoire.
Une semaine d’isolement à la Chapelle Musicale Reine Elisabeth (violon et piano)
A la fin de la dernière soirée des deuxièmes éliminatoires, les noms des douze lauréats sont proclamés et, dès le surlendemain matin, les lauréats commencent à faire leur entrée à raison de deux par jour à la Chapelle Musicale reine Elisabeth, située à Argenteuil. De cette manière, chacun d’eux dispose exactement de huit jours de préparation. Ils reçoivent dès leur entrée, la partition d’une oeuvre inédite imposée en finale. Par tradition, l’oeuvre inédite est entourée de mystère. Non seulement personne ne peut en voir la partition, mais le nom même du compositeur est gardé jalousement secret. Le nom sera dévoilé le vendredi précédant la finale, durant la visite de la presse. C’est ce jour-là en effet, que les deux derniers concurrents entrent en loge et comme ceux qui les y ont précédés, ils auront trouvé dans leur appartement la partition de l’oeuvre. Ce « mystère » est en fait une mesure de prudence, pour assurer le caractère totalement inédit de l’oeuvre et la livrer parfaitement inconnue à chacun des lauréats. En imposant cette ultime épreuve les organisateurs veulent donner au jury la possibilité de juger le lauréat sur ses qualités personnelles de déchiffrage et d’interprétation, sans aucune référence ni recours à aucun conseil de maître. Durant cette période, le concurrent est tenu à la stricte observance du règlement : ni sorties, ni correspondance, ni visite à l’exception, pour les violonistes, de celle de leur accompagnateur. En fait de visite, les finalistes ne peuvent recevoir que celle du chef d’orchestre qui dirigera les finales. Il écoute les concurrents mais ne donne aucun conseil. Une après-midi est toutefois réservée aux représentants de la presse, radio et télévision, belges et étrangères. C’est à cette occasion que le nom de l’auteur de l’oeuvre imposée est rendu public. Celui-ci est présent à ce moment et les candidats peuvent pendant quelques instants avoir un contact avec lui et lui poser quelques questions sur son oeuvre. Quant aux sorties, elles se limitent à deux déplacements au Palais des Beaux-Arts pour les répétitions. Chaque lauréat dispose d’une première répétition pour « voir » avec l’orchestre le concerto de son choix et d’une seconde, plus longue, la veille de sa prestation, pour travailler l’oeuvre imposée et revoir le concerto au choix.
Le jury du Concours.
Le jury réunit de grands noms du monde de la musique, par principe toujours maîtres dans la discipline de la session pour laquelle ils siègent. Pour le choix du jury, la direction du Concours tient compte de critères essentiels : compétence, réputation mondiale, intégrité, générosité humaine. Il fait souvent appel à d’anciens lauréats. Certains membres du jury sont des artistes qui se produisent peu sur scène et leurs noms sont peut-être moins familiers au grand public. Il s’agit de pédagogues qui ont formé des musiciens célèbres ; suivre leur enseignement est un honneur très envié. Deux musiciens belges réputés sont également désignés pour chaque session. Le Président du jury est désigné parmi les sommités du monde musical belge.
Le travail du jury.
Un des éléments qui donnent sa force et sa réputation au Concours est la rigueur de son règlement. Il est considéré comme l’un des plus équitables. Pour le jury, il n’y a aucune discussion. Le règlement prévoit qu’ils ne peuvent avoir aucun contact avec les candidats pendant toute la durée du concours, même si ces derniers sont leur élève. D’ailleurs, ils ne cotent pas les prestations de ceux-ci. Un élève pour qui un professeur n’a pas donné de cote reçoit en compensation la moyenne des points attribués par les autres membres du jury. A la fin de chaque journée, à l’issue de la séance du soir, le jury gagne une pièce isolée. Comme un élève aux examens, chaque juré s’assied à une petite table séparée pour attribuer les points aux concurrents du jour. Toutefois, ce n’est qu’à la fin du deuxième jour qu’il cotera les concurrents. Cette disposition lui permet d’avoir déjà une échelle de comparaison suffisante. Les cotes sont remises à un huissier de justice qui les enferme jour après jour, jusqu’à la dernière soirée de chaque tour. Les points sont alors comptabilisés par les responsables, sous la surveillance de l’huissier. Chacune des épreuves est cotée séparément. Lors de chaque prestation les concurrents repartent à zéro. En cas d’ex aequo, le jury sera appelé à voter par bulletin secret. Le classement est établi en fonction de ces calculs et le jury est le premier à être informé des résultats.
La finale.
La finale à lieu dans la Grande Salle « Henry Le Boeuf » du Palais des Beaux-Arts, salle conçue par le célèbre architecte Victor Horta. Le lauréat devra interpréter l’oeuvre inédite imposée, un concerto de son choix et une oeuvre pour piano seul, choisie par le jury dans le répertoire proposé par le candidat. Les violonistes, quant à eux doivent interpréter, outre l’oeuvre inédite et le concerto au choix, une sonate pour violon et piano (musique de chambre). La dernière étape commence. Chaque soir, la voiture de la Chapelle Musicale amène au Palais des Beaux-Arts le premier des lauréats qui se produit ce soir là. Au moment où il s’attaque au concerto de son choix, le second concurrent se met en route. A la fin de leur prestation, les deux finalistes ne retournent plus à la Chapelle et les familles d’adoption les attendent déjà. Il faudra un certain temps pour que « leur enfant » puisse échapper aux admirateurs qui envahissent les coulisses dans l’espoir d’arracher l’autographe de celui qui, dans quelques jours, sera peut-être une célébrité.
La proclamation.
La nuit de la proclamation finale, le public a pratiquement doublé. La salle est archicomble. Le président du jury annonce le nom du premier lauréat. Sa voix, par instants, disparaît sous les applaudissements ou les cris de la foule. Le vainqueur serre la main des jurés, se jette dans les bras de son professeur si celui-ci est présent et salue la salle encore enthousiaste. Il est pris sous les flashes des photographes, et réapparaît quelques instants plus tard pour embrasser le deuxième lauréat. Il n’y a semble-t-il aucune jalousie ni rivalité. C’est l’amitié artistique qui triomphe, même si certains sourires sont empreints d’un peu de déception.
Et après
Au niveau national, on constate que les lauréats sont demandés à travers le pays, pendant la saison qui suit immédiatement la session, mais un grand nombre d’entre eux sont ensuite au programme de chaque saison engagés par les orchestres et les festivals du pays. Les organisateurs du Concours, quant à eux sont conscients que leur tâche consiste non seulement à veiller à l’excellence des sessions, mais également à multiplier par la suite les efforts pour promouvoir la carrière de la nouvelle génération d'interprètes. En effet, la perspective d’une carrière brillante s’ouvre à eux. Si pour quelques-uns ce bel avenir suit immédiatement leur succès à Bruxelles, pour d’autres, par contre, plusieurs années s’avèrent nécessaires avant de pouvoir s’imposer. Des contrats sont souvent signés dans les jours qui suivent la proclamation. Le secrétariat du Concours assure en outre une permanence de contacts personnels, avant comme après chaque session, permettant de faciliter les contacts ultérieurs.
Discographie.
Le Concours veille également à faire connaître les lauréats par la voie d’une édition discographique: les grands moments des épreuves finales sont édités en « livre » immédiatement après la session. D’autres enregistrements ont également lieu ensuite en studio.
Le public.
Le public du Concours Reine Elisabeth joue un rôle précieux et bien spécifique. Par leur attention et leurs applaudissements, les auditeurs présents dans la salle peuvent aider un interprète à se surpasser et donner ainsi une prestation exceptionnelle. Les préférences et même les partis pris du public n’ont pas la moindre influence sur les jugements et les cotations du jury. Cependant par son engagement, le public contribue fortement à l’atmosphère tout à fait particulière qui « porte » les concurrents à se dépasser et fait que le pays entier vit à l’heure du concours. Les mélomanes avertis estiment que le public se laisse parfois trop entraîner par ses engouements. Pourtant, la qualité de la musique et le plaisir artistique l’emportent toujours.
Les médias
Ce concours est un événement médiatique de premier ordre, qui est suivi massivement par la presse, la radio et la télévision. Des journaux et revues, qui d’habitude n’ont pas de rubrique musicale, s’attachent pour la circonstance les services d’un critique. Dès la première éliminatoire, les gens de la radio sont là. Au deuxième tour, la retransmission intégrale commence, assortie de commentaires. Une personnalité du monde musical belge est invitée à rejoindre le présentateur de l’émission. La semaine des finales au Palais des Beaux-Arts est diffusée en direct à la télévision. Le fait que pendant une semaine entière la télévision consacre toutes les soirées à de la musique classique est un phénomène unique au monde. Cette participation active contribue certainement à populariser la musique classique et aide à l’enrichissement culturel du grand public. Parmi tous les câbles qui s’enchevêtrent certains sont réservés à la firme de disques qui, dans le sous-sol, enregistre les prestations. Ces enregistrements feront partie du bel album rouge diffusé dès la fin du concert.
Ressources.
Les principales ressources du Concours proviennent de la vente des places aux sessions et concerts, l’appui de Membres Patrons, l’enregistrement et la diffusion des épreuves par les radios et la télévision et le produit de fonds acquis grâce à des dons et des legs. Depuis quelques années, le Concours s’assure également l’aide de sociétés sous des formes variées de mécénat culturel. Ses principales dépenses sont, outre les frais de fonctionnement l’accueil et les rétributions des membres du jury, les locations de salles, les droits d’auteurs et les frais d’orchestres, les concours de composition, le séminaire international, les avantages offerts aux candidats à partir de la deuxième épreuve.
Les participants à cette conférence ont reçu une plaquette reprenant tout le contenu de la conférence. Mon résumé en est extrait. Je vais donc terminer ici puisque vous avez tous les détails complémentaires dans la revue. J’espère que ceux qui n’étaient pas présents trouveront néanmoins un petit intérêt à lire ce résumé.