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Le Ballet "Lumière"
par Maurice Béjart

Sauvenière, fin mars 2003,

Notre deuxième sortie de mars nous conduisit à Bruxelles afin d’aller voir le spectacle « Lumière » mis en scène par Maurice Béjart en hommage à Jacques Brel.

Maurice Béjart, en réalité Maurice Berger est le fils du philosophe Gaston Berger, né à Marseille en 1927 et danseur chorégraphe.

Il débuta à l’ Opéra de Marseille en 1945 et fonda avec Jean Laurent les ballets de l’Etoile en 1954. Ils devinrent par la suite le Ballet Théâtre de Paris en 1957.

Il est nommé directeur du Ballet du Théâtre Royal de la Monnaie à Bruxelles en 1960 et cette collaboration dure jusqu’en 1987. Il va ensuite à Lausanne où il anime le Ballet du XXème siècle appelé par la suite le « Béjart Ballet Lausanne ». Insatisfait des corps de ballet formés à l’école d’une tradition qu’il juge périmée, metteur en scène autant que danseur, il puise un renouvellement de la danse dans les grands mythes occidentaux : Faust, Tristan, Don Juan et dans des sources orientales. Il réalise des œuvres originales où prédomine souvent une recherche mystique en vue de réaliser par la synthèse du chant, de la parole et de la danse, un spectacle total qui se veut « une cérémonie pour le plus grand nombre ».

Maurice Béjart, c’est les rêves en mouvement. Il n’existe pas de clés pour entrer dans l’univers de Béjart. Toute tentative d’interprétation de son œuvre chorégraphique, théâtrale, littéraire ou toute tentative à expliquer l’homme et l’artiste sont parfaitement vaines. Il faut accepter son invitation  au voyage à travers le temps, à travers les civilisations, à travers sa propre vie.

Il récuse l’opposition entre danse classique et danse moderne. Il vise par une synthèse harmonieuse des effets des différentes disciplines que sont la danse, le chant, la musique, la parole, voire le silence, à faire de ses chorégraphies un spectacle total destiné à un large public.

Le Ballet Lumière.

Depuis plus de 35, ans Barbara est l’amie fidèle de Béjart. Elle lui parlait toujours de la lumière. « Je suis la lumière noire » disait-elle et il fit une chorégraphie sur l’Aigle Noir. Elle lui disait aussi : pour moi, la Lumière, c’est Jacques Brel ; elle lui fit découvrir la chanson « La Lumière ».

Béjart a connu Jacques Brel à Bruxelles où il vivait à l’époque avec sa compagnie alors que Jacques jouait l’Homme de la Mancha à la Monnaie. Il lui disait : « Un jour, on fera quelque chose avec Barbara et moi ».

Lorsque le Conseil Général du Rhône lui commande une création, il pense immédiatement au couple Brel et Barbara et soudain, le monde du cinéma vint se joindre à cette dualité puisque les frères Lumière, dans leur usine à Lyon ont inventé le cinématographe. Ils créèrent en effet à Lyon en 1895 ce qui à l’époque paraît un simple spectacle de cirque ou de music-hall, mais vite il devint l’art majeur du XXème siècle.

C’est donc ce spectacle qui est représenté à Bruxelles, il est le dernier opus du chorégraphe Maurice Béjart. Inspiré de cette chanson peu connue de Jacques Brel, « Lumière » se déploie sur les musiques du Grand Jacques, sur celles de Barbara et Jean-Sébastien Bach. Ce spectacle mêle habilement cinéma et danse.

Jacques Brel.

Né le 8 avril 1929 à Bruxelles dans une famille de la petite bourgeoisie industrielle, Jacques était destiné à un avenir confortable au sein de la cartonnerie paternelle. Relativement étranger à cet univers familial il se refusait, déjà, sans en prendre pleinement conscience, au joug de l’étiquette, poids de la tradition. Car tout ce que fit Brel, le long de son trop court passage en ce bas monde ne fut, en vérité, que de rejeter et décliner le saint moulage dans lequel il avait été pris. Sa vocation, Brel la découvre au collège où il pratique le théâtre avec une troupe d’élèves. Mais ses professeurs ne le stimulent guère. A quinze ans, il écrit une première nouvelle et quelques textes en prose, puis il se met aux vers et à la chanson. Mais l’école n’est pas son fort et dès l’âge de 18 ans il rejoint son père et son frère à la cartonnerie. C’est à cette époque que les choses se gâtent : il comprend que le piège sédentaire et l’étau social se referment sur lui. Il rejoint un groupe de jeunes et à leurs côtés, il présente chaque dimanche des petits spectacles dans les centres hospitaliers et dans les hospices : de ces petits spectacles de variété émanent ses premières chansons. Il y rencontre Miche, l’épouse et ils auront 3 filles. Mais parallèlement à ses activités à la cartonnerie, à sa vie de famille et à ses activités militantes, il se produit dans les cabarets bruxellois dès 1953. Il enregistre un 1er 78 tours à l’attention des radios locales, directeurs de théâtre et de salles de spectacles. Par miracle, l’un de ces exemplaires tombe dans les mains de Jacques Canetti, producteur parisien, chasseur de talents. Il convoque Brel à Paris. Il s’essaiera au cabaret de Canetti pendant quinze jours mais l’accueil est des plus mitigés : son allure gauche et paysanne, ses bondieuseries agacent l’assistance. Cela dit ce n’est pas le goût des paillettes et du strass qui poussent Brel à monter sur scène. Il pousse des cris, des cris de souffrance et de compassion. Il cherche sa voie dans un monde et parmi les êtres auxquels il trouve autant de noblesse que de mesquinerie, plus de tendresse que de venin. Et toute la faiblesse de Brel, ou paradoxalement sa force est de croire en l’Homme, de vouloir coûte que coûte et de manière inconditionnelle voir en lui la beauté.

Ayant tout planté, parents, femme, enfants et cartons et s’étant fait couper les vivres par son père, Brel entame piteusement la course aux cachetons égrainant les cabarets, mais partout le public boude. On aime ses chansons, mais on n ‘aime pas le chanteur. Jacques Canetti le présente à Juliette Gréco qui est éblouie par la présence scénique et le talent d’interprète de ce grand gars aux mains si grandes, aux yeux si ardents. C’est elle qui le fera connaître et entraînera Brel dans le sillon de sa popularité. Cela n’empêchera toutefois pas l’échec et la raillerie de la presse française qui lui conseille de reprendre au plus vite le train pour Bruxelles. Mais Brel ne se décourage pas. Il retravaille ses textes, cherche un style direct, authentique, spontané. Il invente même des néologismes, des nouveaux verbes. Et enfin, voilà un premier succès : « Quand on n’a que l’amour ». Sa carrière est lancée et Jacques se lance à corps perdu dans les réjouissances de la scène. Brel est infatigable, inépuisable, intarissable. On le retrouve en France, en Afrique du Nord, au Canada, en U.R.S.S , aux Etats-Unis, en Israël : partout où il est réclamé, Brel se dépense et chante. Et cependant les spectacles le mettent à la torture : il ne peut pas rentrer en scène sans avoir vomi. L’Olympia de décembre 58 marque sa consécration. Ses textes ont la profondeur de ses tripes, il vit chacune de ses syllabes. Chaque note compte, chaque ponctuation, chaque silence, chaque lettre, jusqu’aux « e » muets des fins de phrase qu’il ne laisse jamais choir... « La valse à mille temps » « Ne me quitte pas », les « Bourgeois » et « le Plat Pays » hisseront définitivement sa popularité au rang de Brassens ou de Piaf. Au milieu des années 60, Brel est au sommet de sa gloire. Cependant, fidèle à son engagement envers le public et à sa foi indéfectible dans la sincérité, Brel décide en 66 de faire ses adieux. Il s’éclipse progressivement sous la relative incrédulité de son auditoire. Mais il n’en demeure pas moins avide de sensations.

Ayant découvert à New York une comédie musicale qui mettait en scène le Don Quichotte de Cervantès, il signe l’adaptation française de l’Homme de la Mancha et joue le rôle principal, d’abord à la Monnaie à Bruxelles, puis à Paris. Emouvant dans les mots d’un autre, Brel interprète  né, goûte donc à la comédie. Puis il s’adonne au cinéma d’une part comme acteur puis, sans succès, comme metteur en scène. Mais une première opération du cancer le persuade de s’évader pour une traversée du monde à bord de son voilier. Il part en compagnie d’une de ses filles et de Maddly sa nouvelle compagne. Il s’installe avec Maddly  dans une cahute typique de l’île d’Atuona, dépourvue de confort et d’électricité. Retiré du monde, il goûte aux plaisirs simples de cet espace irréel, paisible et accueillant. Mais tout à la fois, il apprend à piloter un avion et se met au service de la population de l’île, les transportant, leur apportant vivres et médicaments qu’il part chercher dans d’autres îles. Il est un véritable symbole de force et de vitalité, le moteur existentiel qui l’a mené depuis son enfance, l’incapacité de s’arrêter, de se finir, d’aboutir. En résumé, Brel ne parvenait pas à se reconnaître  pleinement dans ce qui l’entourait : que ce soit sa famille, ses concitoyens, sa culture, la société et cette indécision le plongeait dans un perpétuel état de défaillance, de faille. Pour lui, chaque instant méritait l’intérêt, une pleine prise de conscience. Mais, dévoré par l ‘intuition que le monde n’est qu’évanescence et que tout nous échappe sans cesse, qu’entre chaque claquement de seconde tout se perd et tout se re-crée, Brel tente de goûter intensément à chaque fraction de vie qui s’échappe. Paradoxalement, c’est donc son inaptitude au bonheur facile et à son incapacité d’accepter bêtement le sort sans se poser de questions qui préserve sa conscience et rend Brel plus vivant que bien des hommes. Suivant son instinct de survie, Brel brûle ses derniers mois et profite au maximum de l’île et de Maddly. Plutôt que de rentrer tous les 6 mois comme il est conseillé dans ces affreuses maladies afin d’en contrôler et d’en freiner, tant que possible, l’inexorable évolution, Brel la laisse grignoter en lui et s’insinuer dans ses entrailles sans plus d’espoir de rémission. Il revient en 1977 avec de nouvelles chansons, plus sombres que jamais rapportant presque toutes son état de santé et sa mort prochaine, fût-ce de manière discrète.

Le 9 octobre 1978 Brel s’éteint à l’Hôpital Franco Musulman de Bobigny en Seine Saint Denis. Il a 49 ans.