"D'où viennent nos noms de famille?"
par le Professeur J.-M. Pierret, UCL
Gembloux, le 4 décembre 2017
Bonjour à toutes et tous,
Malgré la petite offensive
hivernale, nous nous sommes retrouvés à 82 au Foyer communal de Gembloux pour
écouter Monsieur Jean-Marie Pierret, professeur émérite de l’UCL. Il
nous a fait un exposé à la fois intéressant et amusant sur « L’origine de
nos noms de famille ».
Il aborde le sujet en
soulignant qu’aujourd’hui le nom de famille ne décrit plus la personne qui le
porte. Nous ne nous étonnons pas du tout quand nous savons que monsieur Legrand est tout petit, que monsieur Leblanc est noir ou que le jardinier
s’appelle Dujardin. En d’autres mots, les francophones n’analysent plus
des noms de famille et ne voient pas le sens qui est derrière. Plus encore :
Hergé, a-t-il inventé le nom de Tintin ou la boucherie Sanzot ? Eh bien, il y a 43 personnes en Belgique qui portent le
nom de Tintin et la boucherie en question existe réellement ! Ne nous étonnons
pas non plus quand un chirurgien s’appelle Billard, un chauffagiste Manfroy, etc.
Mais d’abord, retournons un peu
en arrière. À la fin du Moyen Âge, le nom de famille n’était qu’un surnom
individuel qui ne se transmettait généralement pas. D’ailleurs, les
Anglo-Saxons utilisent encore aujourd’hui le terme de « surname ». À cette époque, chacun était identifié par un nom de baptême, c’est-à-dire
un nom unique qui n’était pas perpétué dans les générations suivantes. Pour la
liturgie catholique, de nos jours encore, le prénom (nom de baptême) est le
seul nom employé. Dans la culture latine, on utilisait un système à trois
éléments comme par exemple : Caius Julius Caesar. Après la chute de
l’Empire romain, les Francs ont formé la nouvelle aristocratie de la Gaule du
Nord. Les populations gallo-romanes les ont imités et
ils ont abandonné le système latin au profit du système des Germains, c’est-à-dire un nom unique.
Au Moyen Âge, dans nos régions,
presque tout le monde portait un nom de baptême, très souvent de consonance
germanique, comme par exemple : Louis, Arnould, Englebert, Gérard, Gobert, Guillaume, Renard, Robert, Thierry-Thiry, etc. On retrouve ces noms
très couramment dans le contingent des noms de famille. La christianisation a
amené de nouvelles sources d’inspiration avec notamment la Bible et le culte
des saints : Pierre, Jean, Jacques, Mathieu, Martin, Nicolas … En revanche, les noms féminins (Marie, Claire, Madeleine, Marguerite, etc.) sont plus rares.
Mais le système du nom unique
menait souvent à des confusions très gênantes, notamment au niveau juridique.
C’était particulièrement le cas dans des petites communautés et on a ensuite eu
recours à des surnoms que l’on peut répertorier de la façon suivante :
-
ceux qui décrivent la personne (Leblond, Lebrun, Leroux, Legrand, Petit, etc.) ;
-
ceux qui font référence au lieu où la personne habite (Dufour, Dupont, Dumont, Dubois, etc.), à son origine (Baufays, Beauraing, Laroche, etc.) ou à son origine ethnique (Lallemand, Flamand, Namurois, Brabant, etc.) ;
-
ceux qui indiquent le métier (Leclercq, Lefèbvre, Marchal, Meunier, etc.) ;
- ou encore ceux qui rappellent
la filiation comme par exemple Jean-Nicolas (c’est le fils de Nicolas →
voir plus loin).
Certains noms étaient
difficiles à porter tels que Le Bastard, Bonnelangue, Cocu, Courtecuisse et d’autres. Il y a
aussi Salpèteur, mais ce n’est pas ce que l’on
pense : c’est plutôt quelqu’un qui extrait le salpêtre !
Il faut attendre le XVIème siècle pour que
l’on procède à la fixation des noms de famille. En effet, le concile de Trente
recommande aux curés de tenir méthodiquement les registres des baptêmes et la
généralisation de ces registres a largement contribué à rendre les surnoms
héréditaires. Le premier texte administratif en Belgique a été découvert en
1194 dans la région d’Ath. Jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, le registre des
baptêmes a constitué le véritable état civil ; en étaient donc exclus ceux qui
n’étaient pas baptisés, comme les protestants ou les juifs !
Il faut bien se remettre dans
la vie d’autrefois qui était organisée en petites communautés dans lesquelles
le moyen ordinaire de communication était la langue locale, c’est-à-dire le
wallon, le picard et le gaumais. C’est donc à partir
de formes dialectales que la plupart des surnoms ont été créés. Mais la langue
administrative était le latin et, plus tard, le français ; le dialecte local
n’a jamais fait office de langue officielle. On s’imagine dès lors aisément que
les transcriptions des noms de famille par les curés-scribes étaient parfois
assez fantaisistes menant à de nombreuses irrégularités. Il n’est donc pas
étonnant de trouver le nom « Lejeune » orthographié sous 6 formes
différentes, celui de « Laurent » sous 12 formes différentes et, sans
doute le record, celui découlant de « wèsse, wasse (en français : hoste, hôte = ‘aubergiste’) » sous 39 formes différentes.
Une autre particularité
provenant du fait que les registres étaient tenus en latin est que l’on trouve
des noms comme Paulus, Petrus, etc. avec parfois la terminaison
du génitif, une marque du complément du nom comme déjà mentionné ci-avant : Petrus
Nicolaï (Nicolay) = Pierre, fils de
Nicolas, ou encore Alberty, Conrardy, Huberty, Leonardi, Renardy,
etc. Il s’ensuit qu’il n’est pas toujours aisé de retrouver la signification
correcte de son nom de famille. De plus, certains noms ont subi des parcours et
des transformations complexes, alors que d’autres témoignent d’une origine
explicite, mais plutôt surprenante comme par exemple Abandon, Dumalin,
Vindevogel, Vanliefde, Denuit, Zondag, Decembry …
A relever aussi le nom de « Belge ou Belche ou Belges » qui était déjà présent dans nos contrées avant l’existence
même de la Belgique ! L’un ou l’autre nom trouve son origine dans les romans d’Arthur
Masson (p. ex. le surnom du chantre T. Déome),
etc. Il existe aussi beaucoup des Leroy, des Lempereur ou encore
des Lepape. Étonnant aussi est que 1.642
personnes en Belgique s’appellent Dieu ou même Dieux ! On peut
aussi se demander pourquoi on ait employé des noms d’animaux comme par exemple Leloup, Lecerf …
À la Révolution, l’état civil
est retiré à l’Église et confié au pouvoir civil (1794) : « Aucun citoyen ne
pourra porter de nom, ni de prénom autres que ceux exprimés dans son acte de
naissance ». C’est alors que le « nom de baptême » devient le « prénom » et le
« surnom » devient le « nom de famille ». À partir de ce moment, il s’agit du
régime moderne et les noms de famille sont fixés définitivement : ce sont des
noms patronymiques immuables. En principe du moins, car la loi prévoit une
procédure de changement pour les personnes dont le nom peut être interprété
comme nom malséant ou déshonorant. Ainsi, Hanus a été changé en Hannut, Minette en Mine, Put en Dupuis, etc. On comprend aussi qu’après les deux guerres,
le nom « Bosch » est difficile à porter et il en est de même depuis les
années ’90 pour « Dutroux » …
En
Belgique, selon la nouvelle loi du 8 mai 2014, l’enfant porte soit le nom de son père, soit celui de sa
mère, soit leurs deux noms accolés dans l’ordre choisi par eux. Toutefois selon
un article paru dans Le Soir en 2015, le double nom reste l’exception et le
seul nom du père est attribué à 94 % des nouveau-nés. Il semble donc que la
tradition l’emporte à ce niveau !
Le conférencier a terminé son
exposé en mentionnant les origines des noms de quelques personnes
présentes dans l’assemblée. Ensuite nous avons encore pris le temps pour un
goûter bien convivial avant de regagner nos pénates.
Dans l’attente de vous revoir
le 21 décembre pour la dernière conférence de cette année, je vous adresse
toutes mes amitiés